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Yuki : le secret de la montagne magique : transparence involontaire

Il y a, dans le récent retour d’Akira dans les salles, un témoignage des spécificités de l’exploitation française : près de 60 000 entrées depuis le 19 août – un grand succès pour une ressortie -, malgré un contexte sanitaire défavorable et des cinémas aux horaires réduits. Une certaine partie du public reste sensible à l’animation japonaise et continue de se déplacer pour voir ses grandes œuvres ou ses dernières productions, ce qui assure à ces films une présence régulière à l’affiche. Face à cette demande, quelques distributeurs s’aventurent à diffuser quelques longs-métrages moins récents et moins populaires, comme en témoigne la sortie assez confidentielle de Millennium Actress de Satoshi Kon en décembre dernier. Yuki : le secret de la montagne magique fait également partie de cette catégorie. Bien que l’ouverture à la filmographie de Tadashi Imai, réalisateur très méconnu en France, soit à saluer, la possible initiation des plus curieux à une époque plus ancienne où les productions nippones s’exportaient très peu reste compromise : malgré un niveau technique respectable de l’animation, la mise en scène peu audacieuse peine à convaincre et l’ensemble ennuie poliment son spectateur.

Unique incursion de son auteur dans le domaine de l’animation, Yuki : le secret de la montagne magique narre les péripéties d’une jeune divinité envoyée sur Terre par ses grands-parents pour aider les habitants d’un village à résoudre leurs conflits. Elle dispose d’un an pour mener sa quête à bien, sans quoi elle sera transformée en une bourrasque sombre soufflant éternellement. L’histoire revient ainsi sur les événements majeurs liés au village à travers trois parties distinctes, dans lesquelles se retrouvent également quelques scénettes dédiées à l’illustration de la vie en campagne : en plus de repousser une attaque de bandits ou de se révolter contre un seigneur tyrannique, l’héroïne fait aussi l’expérience des amourettes d’adolescents. Malheureusement, le film s’évertue à restituer ces situations d’une manière parfaitement égale, à l’aide de nombreux plans fixes manquant d’un travail de composition, ce qui renforce le sentiment que le long-métrage ne se donne jamais l’ambition et les moyens de mettre correctement en scène ce qu’il souhaite montrer. Le dialogue houleux du samurai qui menace physiquement un paysan est ainsi mis en scène de la même façon qu’une déclaration romantique au sommet d’une colline, ce qui tend finalement à vider ces séquences de leur importance et de leurs spécificités.

L’articulation maladroite du récit renforce ce sentiment assez déplaisante que les péripéties s’enchaînent au mauvais rythme et manquent de poids, de corps. L’utilisation bien trop importante des fondus au noir trahit le manque d’idée pour conclure les scènes : elles se terminent quasiment toutes de la même façon, ce qui contribue à anesthésier les quelques enjeux qui pouvaient émerger. De rares coupes brusques viennent rompre la torpeur qui s’installe progressivement, sans que cela exprime quelque chose de précis. Les passages violents d’une saison à l’autre par exemple, renforcés par le contraste des couleurs, convoquent moins un vertige du temps qui passe qu’une impression de montage abrupt, voire austère, qui ne renvoie à rien d’autre qu’au manque de rigueur formelle du film. La musique, quant à elle, semble se faire loin des images, répétant régulièrement ses suites de deux ou trois accords. Le peu de dramatisation qu’elle apportait sporadiquement aux événements du récit disparaît à la fin de l’histoire, lorsque se lance, dans un moment inopportun, une chanson sur le bonheur et la beauté de la jeunesse. La bande-sonore, se plaçant toujours en parallèle ou en surplomb de l’action, est ainsi renvoyée à sa fonction primaire d’accompagnement des images, elles-mêmes utilisées comme simples illustrations de péripéties qu’elles échouent à saisir et à investir émotionnellement. Ces errances mène à penser que le principal défaut de Yuki est que le réalisateur ne sait pas quoi faire de ses propres scènes, qu’il n’a pas de vision précise de ce qu’elles vont apporter au récit et de la forme qu’elles devraient prendre au moment où elles interviennent.

Cette inconstance dans la mise en scène finit par empiéter sur le plaisir du récit, à cause notamment d’une certaine indétermination des espaces et de la temporalité typique des films au montage hasardeux. Du fait des ellipses et des coupes franches, le spectateur n’a qu’une vague idée du moment où se déroule l’action, et si les principaux lieux où elles prend place sont identifiés (la cabane des mendiants, le château de Goemon, le village), leur situation géographique les uns par rapport aux autres demeure totalement abstraite. Les personnages se rendent d’un espace à un autre en un clin d’œil, sans que la mise en scène ne laisse d’indices sur la distance parcourue ou le temps écoulé pendant le voyage. L’artificialité manifeste des enchaînements ne contribue pas à l’expérience du spectateur, déjà usé par les personnages archétypaux (le seigneur cupide, le vieux sage du village, la fillette qui parle très fort) et les situations sans originalité (les paysans qui implorent une baisse des impôts, les bandits à cheval qui renversent une marmite sur le feu). Le manque de relief de la représentation, la transparence involontaire des protagonistes et des enjeux mène toutefois le spectateur à regarder à travers eux, à rediriger son attention sur ce qui ailleurs, derrière : la qualité des décors, le trait précis des éléments naturels, le choix harmonieux des couleurs. Le désintérêt progressif pour l’aspect fictionnel contribue donc à une (re)valorisation de l’aspect technique très honorable du long-métrage, qui se distingue par les teintes franches des éléments en arrière-plan ainsi que par son économie des détails, disséminés à juste proportion. Ce retour à une appréciation plastique première du dessin signe quelque part l’échec du roman d’apprentissage aux relents communistes que l’auteur souhaitait manifestement transmettre, mais fait malgré tout honneur aux moyens de représentations de l’animation, qui peuvent s’apprécier de plusieurs manières, en étant plongé au cœur de la fiction comme en prenant ses distances avec celle-ci.

Author

Émilien Peillon

Émilien Peillon

J'aimerais appartenir à la cinéphilie classique mais mon amour pour l'animation et le jeu vidéo m'en empêche. Incapable de rédiger quoi que ce soit rapidement, j'essaye au moins de travailler la forme pour ne pas devoir me cacher les yeux quand je me relirai dans six mois. Un jour, j'ai découvert Paprika au cinéma et je ne m'en suis jamais remis.

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