The French Dispatch marque la dixième empreinte de Wes Anderson dans les salles de cinéma. Depuis Bottle Rocket et ses braqueurs bras-cassés attachants, le réalisateur texan n’a de cesse expérimenter, prolonger une vision si singulière du cinéma. Si singulière que le réalisateur va toujours prolonger à chacune de ses réalisations. La Famille Tenenbaum marquait un tournant esthétique dans la manière de raconter la vie de familles chaotiques, dont il filmait les membres tels des marionnettes qui chercheraient à s’animer émotionnellement. Des pantins que l’on retrouve littéralement dans un autre cap du cinéaste, l’animation, avec dans un premier temps Fantastic Mr Fox. Film où un renard voleur rangé en journaliste père de famille cherche à réveiller la réputation glorieuse du passé. Puis, The Grand Budapest Hotel marqua un cap politique du cinéaste. Depuis cet étape posé en 2014, le cinéaste ne cessa d’expérimenter avec ce qu’il a déjà établi et continua ses préoccupations de cinéastes avec L’île aux Chiens et maintenant, The French Dispatch : plus que de la qualifier de manière raccourci d’oeuvre synthétique de son univers, il serait plus judicieux de la qualifier d’explosion stylistique. The French Dispatch, par son format segmenté, est un coffre qui s’ouvre à nous pour jouer avec toutes sortes d’images.
En imaginant la conception d’un journal international basé dans une ville française imaginaire, Anderson s’amuse et nous invite à faire de même. Il s’éclate, tel un grand enfant qui cherche à couvrir sa mélancolie (à peine voilée par l’évocation de la mort et de conflits politiques et générationnelles, notamment dans le segment consacré à une pastiche de Mai 68), à rendre hommage aux multiples méthodes de narrations pour raconter des histoires. Écrits, illustrations, interviews sur un plateau télévisé, conférence, bande-dessinée, pièce de théâtre, chansons : le coffre qu’est The French Dispatch regorge d’objets uniques en leur genre, qu’on s’amuse à déceler à chaque seconde. Ses comédiens, grimés tels des marionnettes à taille humaine, s’éclatent dans les partitions données par Anderson. Les habitués sont déjà facilités ; il y a Bill Murray, Frances McDormand, Adrien Brody, Tony Revolori, Léa Seydoux et Edward Norton. Puis il y a des nouveaux comme Timothée Chalamet et Lyna Khoudri en jeunes révolutionnaires, Benicio Del Toro en meurtrier peintre ou encore Jeffrey Wright dans peut-être, la plus généreuse partie du film, où il pastiche sublimement James Baldwin. Même ce casting volumineux témoigne aussi de ce sentiment d’explosion artistique. Wes Anderson ne fait pas du Wes Anderson, cela voudrait dire qu’il se repose sur des acquis. La maniaquerie technique du cinéaste, avec ses symétries et ses couleurs si reconnaissables, s’élève d’un cran. Chaque plan devient une page d’un livre pop-up comme on lisait enfant, chaque plan minutieux regorge de détails qui rendent le film au final si vivant contrairement à ce qui est prétendu depuis son passage à Cannes.
The French Dispatch, par ce jeu incessant autour de la narration, est un plaidoyer émouvant sur le métier de journalisme et la part de conteur qui y est impliqué. Tels les journalistes, désemparés mais en plein travail à la conclusion, Anderson a encore des choses à dire et à raconter et nous serons au rendez-vous pour Asteroid City, son prochain long-métrage.