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Banana Fish : Bang Bang mais pas Kiss Kiss

Annoncée en grande pompe en 2017 par le studio MAPPA, l’adaptation télévisée de Banana Fish, manga shōjo d’Akimi Yoshida, ne manquait pas d’intriguer : il s’agissait moins de faire la promotion de l’œuvre originale, dont la fin de publication remontait déjà à plus de deux décennies, que de célébrer les quarante ans de carrière de son auteur. La qualité des précédentes productions du studio promettait également une certaine tenue du point de vue de l’animation, mais on était en droit de se demander ce que l’équipe pouvait faire ressortir de ce thriller entremêlant guerre des gangs dans les bas-fonds new-yorkais, émergence d’une nouvelle drogue et romance homosexuelle entre une petite frappe et un assistant-journaliste japonais. La promesse, à moitié tenue, de moderniser le récit fait de Banana Fish une série au goût étrange, qui a quelque chose des années 1980 sur certains points, et qui est très contemporaine sur d’autres aspects – tout dépend de quel côté on la regarde.

L’équipe du studio MAPPA a ainsi transposé l’histoire de nos jours, en opérant quelques modifications mineures que l’on devine immédiatement – les personnages utilisent désormais des portables, les évocations de la guerre du Vietnam sont remplacées par les références à la guerre d’Irak, etc. Les raisons de ce changement restent peu claires tant le résultat est superficiel : le récit est totalement inchangé, à l’exception de quelques articulations scénaristiques – un protagoniste est prévenu d’un événement par téléphone plutôt que par un sbire, par exemple. La série ne cherche pas à retirer quelque chose de spécifique à cette époque contemporaine qu’elle met en scène, ni à la nouvelle guerre qu’elle évoque, pourtant bien différente du Vietnam en termes de conflit et d’iconographie. On ne gagne donc rien avec ce changement, mais il ne semble pas qu’on y perde beaucoup non plus tant le cœur des préoccupations de la série est ailleurs, dans son enchaînement imperturbable de fusillades, de courses-poursuites et de kidnappings.

C’est la qualité formelle la plus notable de Banana Fish : une gestion effrenée du rythme, d’où découle une progression en apnée qui demande à son spectateur de ne pas décrocher une seconde, sous peine de manquer des informations. Les dialogues, l’action, tout va à cent à l’heure, laissant à peine le temps d’apprécier les arrière-plans pourtant travaillés. Ce déluge d’images est d’autant plus notable quand il s’interrompt en fin d’épisode, nous laissant suspendus aux lèvres d’un récit qui se révèle mystérieux et prenant. Ce tempo plus que soutenu est évidemment une conséquence de l’adaptation des dix-neuf tomes du manga en seulement vingt-six épisodes, mais la mise en scène n’a pas été prise en défaut par cette contrainte. Les choix de montage sont vraiment singuliers, puisqu’ils visent à retirer tout le gras des scènes pour n’en conserver que l’os, uniquement les quelques images qui permettent au spectateur de suivre ce qui se passe, comme une essentialisation de l’action. Le récit, déjà très elliptique, le devient parfois aussi à l’intérieur même de ses séquences, en rapprochant deux moments clés au cours d’une action continue. Il s’écoule ainsi moins d’une minute dans le deuxième épisode entre le début d’une course-poursuite en voiture et la découverte par le personnage principal du cadavre de l’homme en fuite, assassiné dans une chambre d’hôtel. La proximité temporelle des deux situations a de quoi désarçonner, et c’est au spectateur d’accepter que « ce qui manque » entre les plans a été sacrifié sur l’autel du rythme.

En cela, Banana Fish rejoint l’esprit des actioners des 80’s avec leur efficacité narrative et leur postulat d’action burnée, que la série reprend sans complexe. Les deux héros, Ash et Eiji, sont amenés comme leurs aînés cinématographiques à défourailler toute une armée d’hommes de main à eux tout seuls, dans des immeubles en construction, des hangars abandonnés ou des centres médicaux louches, à survivre à une grosse fusillade devant le Museum d’Histoire Naturelle, et plus tard à une frappe d’hélicoptère. La série, durant l’essentiel des épisodes, propose de renouer avec le plaisir simple du pan pan boum boum et le met bien en scène. Le récit se prend toutefois au piège de son propre rythme et finit par s’épuiser lui-même, bien avant la ligne d’arrivée. L’histoire principale évolue petit à petit en intrigues de mafia et multiplie les redites dans son dernier tiers : qui est rallié à qui, qui cherche à manipuler qui, etc. Les nombreuses prises d’otage – un même personnage pouvant être kidnappé deux fois l’espace de deux épisodes – rallongent inutilement le récit, qui repose trop confortablement sur le personnage principal, Ash, chef de gang de dix-sept ans, combattant inarrêtable et surdoué brillant à qui tout réussit. Le personnage autrefois sympathique de chien fou se transforme progressivement en Mary Sue, personnage fade écrit pour être aimé, et formidable outil pour résoudre toutes les situations.

Banana Fish parvient tout de même à intégrer dans son enchaînement d’action quelques rares instants de calmes, dédiés à une romance gay qui ne dit jamais clairement son nom. Bien que leur relation commence avec un « Je peux toucher ton pistolet ? » et qu’un jeu de regard soit plusieurs fois reconduit dans les premiers épisodes, l’attachement profond entre Eiji et Ash, inexplicable aux yeux de certains protagonistes, sera seulement désigné comme une simple amitié. L’expression de ces sentiments se trouve ailleurs, principalement dans la gestuelle des personnages et surtout de Ash, dont le féminin et le sensible est plusieurs fois souligné. Une forme de douceur peut également être observée dans les interactions entre les personnages, à l’intérieur ou à l’extérieur du couple, sans pour autant être directement affiliée à l’homosexualité. La série propose ainsi quelques éléments que l’on voit finalement rarement, comme des gestes de tendresse d’un homme envers un autre ou encore des larmes masculines.

Cette espèce d’amour courtois qui n’éclot jamais vraiment explique peut-être le parti-pris esthétique assez précieux de la série. La composition des plans, imperméable à ce que peuvent raconter les scènes, met toujours en avant une belle lumière, le choix harmonieux des couleurs, l’élégance de l’animation. On insiste même, d’une manière un peu fleur bleu, sur les ambiances douces des levers et couchers de soleil. Les images ne se laissent jamais pénétrer par le désordre exprimé par l’action et le montage, et apparaissent par conséquent assez lisses. Il est ainsi étonnant de se retrouver face à une scène de bar qui tourne au massacre sans aucune variation de lumière ou d’ambiance. Même un égorgement, pourtant filmé face caméra, se fait avec le moins d’effusions de sang possible, en gommant jaillissements et tâches, comme si la série essayait elle-même de minimiser ce qui peut bousculer le spectateur avec un visuel propret. L’impression s’accentue avec les thèmes graves égrenés par le scénario sans réellement être confrontés – la drogue, les réseaux pédophiles, l’inceste – et amène à considérer le (gros) travail des animateurs comme un formalisme un peu vain et parfois déplacé.

Banana Fish se construit ainsi comme une œuvre en vents contraires, faite de contrariétés dans la mise en scène, mais le plaisir du spectacle d’action filant à toute allure vient en premier et demeure. Souvent commentée et mise en avant pour sa représentation de l’homosexualité, la série mériterait davantage d’être vue pour l’expérience de l’entrechoquement de ses images, esthétiquement bien plus singulière que les efforts graphiques un peu maniérés de l’ensemble.

Author

Émilien Peillon

Émilien Peillon

J'aimerais appartenir à la cinéphilie classique mais mon amour pour l'animation et le jeu vidéo m'en empêche. Incapable de rédiger quoi que ce soit rapidement, j'essaye au moins de travailler la forme pour ne pas devoir me cacher les yeux quand je me relirai dans six mois. Un jour, j'ai découvert Paprika au cinéma et je ne m'en suis jamais remis.

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