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Cruella, la critique du film

Quitte à ne plus vouloir écrire de nouveaux personnages iconiques, pourquoi ne pas aller à contre-sens de ses succès et rendre sympathique des personnages maléfiques aux yeux du grand public ? C’est ce qu’a décidé Hollywood et après Joker qui exploitait sans aucun scrupule le Nouvel Hollywood; Disney gentrifie le mouvement punk londonien avec Cruella. Le réalisateur de Moi, Tonya décide de transformer la célèbre vilaine en une martyr de la mode. On cherche encore l’intérêt d’une telle idée.

Il est facile de voir en quoi faire des live-actions sur des vilains Disney peut être une idée enrichissante pour les producteurs. L’hégémonie du film de super-héros, et plus particulièrement Marvel que possède Disney, n’a jamais cessé d’accroître la rapidité rédemptrice d’un super-vilain. Preuve en est actuellement la série Loki sur un personnage qui, on le rappelle, fut l’un des premiers antagonistes du Marvel Cinematic Universe. Une tendance qui a commencé à s’inviter dans d’autres super-productions. La franchise Fast and Furious s’en est fait un cliché où chaque ennemi peut s’absoudre de ses crimes s’il rejoint la célèbre family Toretto. À noter également la transformation en martyr du célèbre Joker, ennemi juré de Batman, en 2019 par Todd Phillips. Pourquoi le Magic Kingdom empirique de Disney ne se priverait pas d’une telle tendance ? D’autant plus qu’en dehors des imaginaires de la culture populaire, le bad guy réel est aussi devenu un objet de fascination pour les spectateurs. Politiciens véreux, serials killers, célébrités déchues ; true crimes et dédiabolisation sont devenus monnaies courantes pour raconter des histoires. Et c’est d’ailleurs l’un de ses artisans les plus célébrés récemment à qui l’on a confié la genèse de Cruella D’enfer : Craig Gillepsie.

En 2018, le monde entier se retrouve à nouveau fasciné par la patineuse artistique déchue Tonya Harding. Celle qui avait défrayé la chronique en 1994 suite à l’agression de Nancy Kerrigan se retrouva être l’objet d’un biopic signé Gillepsie. Par procuration du talent de Margot Robbie, la star déchue se voyait à nouveau accordé une parole à l’écran ; avec le protocole cinématographique du rise and fall, cette astuce narrative qui permet au public de suivre l’ascension d’une figure et ensuite sa chute progressive avec possibilité de rédemption. Le succès public et critique de ce film, accompagné de multiples récompenses, a tapé dans l’oeil de Disney qui souhaite alors faire la même chose avec une figure féminine mal perçue par l’audience : Cruella.

Interprété par Emma Stone, celle qui voulait la peau des 101 Dalmatiens n’est plus l’antagoniste de l’histoire mais bien la protagoniste. Celle que l’on va suivre et être empathie. Comment procéder à ce challenge ? En reprenant les mêmes ingrédients que Moi, Tonya en plus marketé. Voix-off omniprésente, bande-son Deezer (version gratuite visiblement si on en croit les utilisations de moins de 30 secondes de morceaux phares de l’époque), enfance traumatique. Toutes les cartes sont servies en l’espace de quelques minutes. Seulement voilà, plusieurs questions sont à se poser. Tout d’abord, quel est le but de ce film ? À part faire du profit en capitalisant sur deux icônes, Cruella et Emma Stone, le film tourne immédiatement à vide dans ce croisement insupportable entre Joker, Moi, Tonya et Le Diable s’habille en Prada.

Une fois passée la présentation avec les personnages, le film tourne désespérément à vide avec ce heist-movie interminable de 2h14. Cruella n’est qu’un film de surface. Un film où le mouvement punk Londonien devient aussi bourgeois qu’un défilé Gucci, où les personnages issus de minorités deviennent que des faire-valoirs pour Cruella (pas merci pour Disney de faire une nouvelle fois de la pub pour un personnage queer qui n’apparaîtra que quelques secondes à l’écran), où celle qui deviendra une méchante pendant des années paraît ici héroïque face à une adversaire plus diabolique qu’elle. Un film qui, en raison d’un twist qu’on ne dévoilera pas, propose également un propos dérangeant sur le déterminisme. Cruella ne bouscule rien, il prétend très mal le faire en revanche.

En rendant inoffensif et sympathique un personnage diabolique, Cruella ne fait que renforcer les normes privilégiées et conventionnelles dont fait preuve Hollywood depuis des années au sein de ses fictions. Un film qui manque alors définitivement de mordant.

Cruella. Réalisé par Craig Gillepsie. Avec Emma Stone, Emma Thompson, Paul Walter Hauser et Joel Fry. Durée : 2h14.

Author

Victor Van De Kadsye

Victor Van De Kadsye

Créateur du site. Je ne vis que pour des artistes comme Michael Mann, Clint Eastwood, Hou Hsiao-hsien ou bien Kelly Reichardt. Capable de réciter n'importe quel réplique de l'âge d'or des "Simpson".

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