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Mank : David Fincher, hors du temps

En reprenant un scénario écrit par son père, Jack, David Fincher signe un véritable réquisitoire contre Hollywood en démythifiant l’un de ses films les plus sacrés : Citizen Kane. Malheureusement, à force de parler pour ne rien dire sur le milieu qu’il occupe, le cinéaste finit pour la première fois à perdre son audience.

En 2008, David Fincher signe certainement l’un de ses plus beaux films avec L’étrange Histoire de Benjamin Button. En adaptant la nouvelle de Francis Scott Fitzgerald, qui raconte la vie paradoxale d’un homme vieilli à la naissance qui rajeunit à mesure de grandir, il confirmait sa quête obsessionnelle du temps qui ronge son cinéma et les personnages qu’il écrit. Ce temps, et surtout sa relativité, relève d’un fatalisme absolu comme on le voyait dans Zodiac. Mais pour raconter la drôle de vie d’un Brad Pitt défiguré numériquement, la misanthropie de Fincher s’est pourtant transformée en une mélancolie douce et réconfortante. Le cinéaste y présente ses personnages les plus bouleversants, ceux qui par miracle sont privés du statut d’anti-héros nihiliste propre aux personnages Fincherien. Puis, douze années sont passées.

Le perfectionnisme nonchalant du cinéaste provoque des tensions avec les studios et donne naissance à certains chefs d’œuvres du cinéma américain des années 2010. Alors passionné par la question de l’image et des apparences que cette notion provoque, que ce soit par le culte de soi et l’omniprésence des écrans, Fincher semble alors redevenu obsédé par le temps et son action des plus impitoyables. On le voyait déjà dans son adaptation sous-estimée de Millenium, où l’enquête d’un journaliste d’investigation et d’une hackeuse marginale sur une riche famille industrielle nazie égratigne les apparences d’un cercle familial établi sur plusieurs années. L’enquête qui semble alors être le moteur scénaristique de Fincher pour poursuivre cette notion. Puisque sa seconde incursion sur la plate-forme Netflix est Mindhunter, une série qui raconte la naissance du profilage au sein de FBI. Les enquêtes s’écoulant sur plusieurs années, où l’on rencontre les criminels les plus dangereux de l’histoire américaine, le temps apparaît alors comme source de traumas et d’amertumes face à la non-résolution d’enquêtes. Dans Love, Death and Robots, le cinéaste produit une série de courts-métrages qui exposait de manière lourdingue un pessimisme sans égal pour le futur. Mais pour son premier long-métrage pour Netflix, l’auteur récidive à user de la relativité du temps pour parler cette fois-ci de cinéma par l’évocation du présent avec un mythe du passé : Citizen Kane.

On ne présente plus Citizen Kane. Ce film majeur du cinéma américain, sur la vie d’un magnat de la presse révélé par l’intermédiaire de flashbacks, qui a révélé au monde entier tout le talent de cinéaste du jeune Orson Welles. Mais est-ce vraiment à lui que l’on doit le brio de ce chef-d’œuvre ? Selon la célèbre critique américaine Pauline Kael, cette idée semble dérisoire. Elle va alors émettre la théorie que Fincher va transposer à l’écran : Citizen Kane est majoritairement dû à l’écriture du co-scénariste de Welles : Herman Mankiewicz, scénariste prolifique des studios et frère du célèbre cinéaste Joe Mankiewicz. Pour mener sans accroc son intention de démythifier la légende Welles, Fincher va alors tenter l’audace en reprenant la trame narrative de Citizen Kane. Celle-ci consistait à dessiner le portrait de Kane par l’intermédiaire de flashbacks relatant plusieurs chapitres de sa vie. Mank reprend ce principe. Si Herman n’est pas mort, il est en revanche cloué au lit à la suite à un accident de voiture doublée d’un problème de boisson. Le premier jet de Citizen Kane doit être donné à Welles et la RKO dans un délai qui ne cesse jamais de changer et à mesure que plusieurs acteurs de la production et de l’entourage de Mankiewicz s’amènent à son chevet, le passé de l’auteur se révèle et donne les clés évidentes qui peuvent rendre compréhensible la thèse de Kael, rejointe par Fincher donc mais réfutée par un auteur comme Peter Bogdanovich. Les rencontres sous tensions avec le patron de la MGM, Louis B.Mayer ; du magnat William Randolph Hearst et la comédienne Marion Davies coïncident avec les traits des protagonistes et évènements du scénario de Citizen Kane. Néanmoins, pourquoi avoir comme projet de démythifier Citizen Kane ?

Était-ce seulement pour honorer le scénario de son père ? Ou bien pour appuyer la thèse critique de la personnalité la plus reconnue de la critique américaine ? Il y a de cela, bien évidemment. Ce qui clarifie le statut du film hautement personnel pour Fincher. Mais il y a une autre raison, qui va alors poser la limite de ce qui aurait pu être un grand film sur le cinéma et sa politique : Fincher veut parler de lui, pour lui et tant pis si ça laisse le public sur le carreau.

En cela, on retrouve le Fincher impertinent qui veut traîner sa patte de sale gosse. Sauf que le sale gosse semble avoir vieilli et n’a plus qu’à offrir un film sans audace sur les comptes qu’il souhaite régler avec Hollywood. Là où Quentin Tarantino privilégie l’extase d’une époque avec laquelle il a grandi, pour mieux lui dire au revoir avec un imaginaire doux-amer dans son chef d’œuvre Once Upon A Time… In Hollywood; David Fincher va profiter de cette reconstitution temporelle pour dire des choses sur notre époque. Malheureusement c’est avec beaucoup de peine de voir un réalisateur, auparavant lucide et amené à creuser sa réflexion, proposer ce qui s’apparente à quelques hot takes sans consistance. Il n’est pas question ici de réfuter les propos de David Fincher, avec lesquels on peut aisément être d’accord. Il sera notamment question de fake news, par l’intervention de Louis B. Mayer pour appuyer la victoire du candidat républicain Frank Merriam grâce à de fausses interventions dans les films d’Actualités diffusés en avant-séance. Sera aussi évoqué l’intégrité artistique des auteurs, notamment européens, au contact des studios. On y verra un jeune Josef von Sternberg à qui on proposera le tournage d’une série B horrifique, par exemple. Difficile de ne pas y voir un reflet de notre époque actuelle, gonflée aux fausses informations qui traînent sur les réseaux sociaux et à des cinéastes comme Sebastian Lelio qui se voit attelé au projet d’un film Bride of Frankenstein ou Lucrecia Martel qui se voit déposséder sans même avoir accepté un film Marvel. Néanmoins, en plus de baigner ces remarques avec une froideur référentielle qui laissera plus d’un spectateur sur le carreau, Fincher semble pour la première fois ne pas savoir quoi faire de ses réflexions. Il n’aime pas Hollywood, d’accord, mais à la vision de Mank, on a envie de ne dire qu’une chose : Et alors ?

La sincérité de Fincher laisse à Mank un sentiment non déplaisant de suivre la vie de Herman. À vrai dire, beaucoup de choses sont admirables dans Mank. Notamment quand le film délaisse sa charge critique pour s’intéresser à l’intimité d’Herman et de son entourage. Ce qui laisse le soin à ses acteurs de briller sur scène, notamment Amanda Seyfried et Lily Collins. Il est donc regrettable que son cynisme plombe un film qui ne souhaite alors plus creuser le monde qu’il est censé raconter sous nos yeux pour préférer jouer avec le numérique pour des effets gadgets insupportables (tels la présence de nombreuses cigarettes burns).

Le temps est impitoyable, même pour David Fincher. Un projet vieux de vingt ans, six ans d’absence en termes de long-métrage, une déconnection totale avec son époque malgré qu’il ait rejoint les rangs d’une plate-forme lissant les plus grands auteurs du cinéma ; il marque un pas de travers en préférant s’enfermer sur lui-même. Mank est un drôle d’objet, pétri dans ses contradictions. Un film qui raconte alors un hymne à la politisation et la créativité sans jamais la partager une seule seconde.

Mank, réalisé par David Fincher. Avec Gary Oldman, Amanda Seyfried, Charles Dance, Tom Burke. Durée : 2h12. Disponible sur Netflix

Author

Victor Van De Kadsye

Victor Van De Kadsye

Créateur du site. Je ne vis que pour des artistes comme Michael Mann, Clint Eastwood, Hou Hsiao-hsien ou bien Kelly Reichardt. Capable de réciter n'importe quel réplique de l'âge d'or des "Simpson".

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