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On the Rocks : Lost generation

On the Rocks est la septième réalisation sous forme de long-métrage de Sofia Coppola. Plus de trois ans après s’être réapproprié un classique de Don Siegel avec Les Proies, la cinéaste s’intéresse à présent aux retrouvailles d’un père et sa fille, tous les deux sujets à des vies sentimentales tourmentées. Habitué à une forme de cinéma pétillant comme du champagne dans son esthétique pop proche des expérimentations 90’s ; Coppola ici prend un virage inattendu, aussi sec qu’un verre de Whisky on the rocks mais accompagné tout de même d’un charme irrésistible.

À l’aperçu de ses premières minutes, on se demande si nous sommes atterris dans la bonne salle. Loin, bien loin, de l’atmosphère cotonneuse qui se dégageait de ses précédents longs-métrages ; on entre de façon claire et nette au sein de la bourgeoisie new-yorkaise. Sans shoegaze balancé à tout va, sans un ailleurs étranger à la vie des personnages (comme la dualité entre les États-Unis et le Japon dans Lost in Translation, par exemple). Cela va sans dire qu’il n’est guère surprenant de pénétrer dans un tel milieu au sein d’un film de Sofia Coppola. Néanmoins, plutôt que de faire évader sa mise-en-scène par le biais de pirouettes anachroniques adolescentes (on se souvient notamment de sa réappropriation du château de Versailles pour Marie Antoinette), l’image s’adapte promptement à l’environnement de ses personnages. Elle rappelle, par ailleurs, la même tonalité classique d’une autre figure du cinéma indépendant américain prestigieux : Noah Baumbach, avec son Marriage Story. Une allusion peu anodine quand on y repense. Les deux œuvres nous baladent dans les rues huppées de New-York en compagnie de personnages en proies à des doutes conjugaux, le tout sous des influences proches de Woody Allen. Ici, il n’est plus réellement question de l’ennui, sujet cher à la réalisatrice. La vie monotone n’est plus observée comme source de spleen mais définitivement comme une routine ; rythmée harmonieusement par le Don Giovanni de Mozart repris par Michael Nyman. Le film s’intéresse alors à un autre sujet cher à Sofia Coppola, que l’on sous-estime souvent quand on évoque sa filmographie : le couple, qui a toujours tiraillé ses personnages. Que ce soit un acteur (aussi joué par Bill Murray) en voyage à Tokyo ou bien un autre acteur (Stephen Dorff, cette fois) s’ennuyant à L.A ; être en couple inquiète toujours chez Sofia Coppola. C’est au tour de Laura, incarné par la toujours géniale Rashida Jones, de s’interroger sur sa vie conjugale avec un mari homme d’affaire (sous les traits d’un surprenant Marlon Wayans). Elle sera accompagnée de son père, un dandy vendeur d’arts aux relents misogynes incarné par Bill Murray, qui va souhaiter transformer la vie de sa fille en une aventure (et sans aucune responsabilité).

Vous vous souvenez du projet de remake américain de Toni Erdmann par Lena Dunham ? Avec potentiellement Kristen Wiig et Jack Nicholson ? Si ce projet fût tombé à l’abandon, il est probable que Sofia Coppola s’est réapproprié le film de Maren Ade pour y imposer sa perception. On the rocks, en réalité, c’est le fil conducteur de Toni Erdmann qui aurait rencontré le propos de Virgin Suicides sur l’incapacité du regard masculin à comprendre et changer les choses qui ne le concernent guère. Si l’emprise du charisme fou d’un Bill Murray dandy se fait fortement ressentir à l’écran, sa première apparition physique s’accompagnant d’un chant en limousine pour vous dire, elle n’est sans cesse remise en question par sa fille, issue alors d’une génération plus progressiste et indépendante. Il faut s’imaginer dans un Lost in Translation alternatif où l’on verrait les pitreries d’un Bob Harris être stoppées par Charlotte. Les actes de Murray sidèrent sa fille et le public par une nonchalance privilégiée, en est la preuve une séquence ahurissante en vue de l’actualité où un contrôle de police devient de la rigolade pour un vieil homme blanc septuagénaire (privilège que Coppola n’oublie pas de pointer du doigt par une punchline bien sentie lancée par Rashida Jones), mais les doutes et certitudes de Jones, qu’en sont-ils ? Influencée par les dires de son paternel, il est un peu regrettable de deviner facilement l’issue de ses questionnements quand on comprend le mécanisme de duo dysfonctionnel entre les deux. Mais malgré cette prévisibilité de l’intrigue, en découle une œuvre touchante sur le mal-être de protagonistes tout simplement en quête d’affection sous différentes.

En cela, on a la certitude d’être bel et bien devant un film de Sofia Coppola. Des personnages poussés à leurs retranchements, en proie à des doutes et des failles, que la réalisatrice va dévoiler avec un attachement sans égal. De plus, il s’agrémente d’un discours moderne sur l’emprise que peut avoir encore avoir un parent sur son enfant et la manière dont celui-ci doit se défaire de cela. Surprenant par sa forme, Coppola enfermant ses personnages dans un milieu strict et sec (malgré un joli détour à Mexico), On The Rocks renouvelle donc avec une certaine maturité formelle les questions laissés tout au long de l’Oeuvre de la réalisatrice.

Author

Victor Van De Kadsye

Victor Van De Kadsye

Créateur du site. Je ne vis que pour des artistes comme Michael Mann, Clint Eastwood, Hou Hsiao-hsien ou bien Kelly Reichardt. Capable de réciter n'importe quel réplique de l'âge d'or des "Simpson".

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