Home Inclassables Weird Al Yankovic : King of Pop Parody
Inclassables

Weird Al Yankovic : King of Pop Parody

Choum, Cauet ou même le 6/9 d’NRJ, ces criminels de l’humour sont coupables de méfaits contre la parodie musicale, à plusieurs reprises, et sans personne pour les arrêter. La récidive de ces individus a causé une perte de confiance du public envers cette forme d’humour, la faisant passer pour un concept beauf. Si certains pensent que mettre des gros mots et aborder des sujets ne dépassant pas le niveau de la braguette représente le summum de la franche rigolade, alors autant retourner faire les premières parties de Bigard et laisser la place aux vrais artistes. Heureusement, pour se consoler, on peut toujours se tourner vers les Etats Unis où un étrange individu s’approprie les hymnes pop depuis plus de 40 ans. Des cheveux longs et frisés, une paire de lunettes, une moustache et un accordéon, Alfred Yankovic a créé un personnage situé entre le cartoon de Chuck Jones et un film de Buster Keaton. Certains veulent être grands, lui il préfère être bizarre, il est à la fois Michael Jackson, Madonna, Prince et Lady Gaga. Quand d’autres parlent de sujets graves, lui il parle de bouffe, de télévision et d’Amish. Après avoir passé une carrière à déconstruire la pop culture, il fait maintenant partie de cette dernière, et ne pas lui rendre hommage serait autant criminel que d’écouter Ratisse moi en 2020. Alors plongeons dans la carrière de Weird Al Yankovic, mais plutôt que de revenir sur sa vie, ses amours et ses vaches, essayons plutôt de comprendre la formule Yankovic.

Tout est dans le flair, et Yankovic en possède un sacré il faut bien l’admettre. Car la première étape, celle de trouver le morceau à parodier, est probablement la plus dure de toutes. Créer une parodie qui va rester dans le temps implique donc de trouver un morceau qui lui-même va devenir intemporel. Sauf que les voies du Seigneur de la pop culture sont impénétrables, et on se retrouve alors face à un vaste choix impliquant en soit déjà un travail de recherche et de compréhension, à la fois sur le présent et sur le futur. Qu’est-ce qu’un grand morceau pop et fédérateur ? Telle est la question à laquelle nous n’avons pas de réponse, et est-ce que Yankovic la possède ou est-ce seulement de la chance ? Vous êtes seuls juges. Néanmoins, nombreux sont les morceaux originaux détournés qui sont aujourd’hui inscrits à tout jamais dans l’inconscient collectif, et dont les artistes ont tous une place au Panthéon. Tel un bizutage de première année, Al est une étape à passer pour devenir quelqu’un. Lady Gaga considère une parodie de ce dernier comme étant un « rite de passage », Chamillionaire lui a dit que sans lui il n’aurait pas reçu de Grammy Award, et Madonna s’est demandée quand est-ce qu’il allait parodier Like a Virgin en Like a surgeon. Dans une exagération folle et absurde, on en serait presque à dire qu’il est un envoyé des Dieux de la Pop accordant sa bénédiction pour accéder à la gloire.

Et pourtant, comme lors d’une réunion de rédaction, des sujets passent parfois à la trappe, et il en est de même pour les parodies de Weird Al, alors il reste tout de même un lot de consolation pour ces artistes qui ne passent pas les qualifications. Une des particularités de Yankovic est de parsemer dans ses albums un medley de reprise de morceaux populaires dans un style complètement différent qui est : la polka. Selon lui, c’est pour ce genre de musique que ces morceaux existent, et loin de nous l’envie de le contredire, car non content d’être drôle, le tout fonctionne parfaitement et reste un immanquable dans ses albums. Sorte de « In memoriam » loufoque, on s’amuse à écouter ce Greatest Hits of the year version polka, devenant avec le temps une capsule pop temporelle. Outre une invitation à la découverte d’un genre et d’un instrument, l’accordéon de Yankovic devient même sa marque de fabrique, son gimmick le faisant se démarquer des autres.

Et si reprendre un morceau tel quel et altérer les paroles est une récurrence dans son œuvre, faire ce que l’on pourrait considérer comme étant du mimétisme musical l’est également. Tel un caméléon s’adaptant à son environnement, il va revêtir l’identité musicale d’un groupe afin de prolonger l’exercice de la parodie encore plus loin, quitte à se prendre pour un artiste, autant pousser le vice jusqu’à devenir le groupe tout entier. Ainsi donc des morceaux comme I’ll sue ya, Dare to be stupid ou encore Don’t download this song représentent sa manière à lui de singer humoristiquement Rage Against the Machine, Devo et même USA for Africa. Démystification de l’aspect divin d’un groupe que l’on peut juger inimitable, ses morceaux témoignent surtout d’un véritable amour de la musique. Car un tel travail implique une véritable recherche pour comprendre ce qui définit un groupe et comment revêtir son costume le temps d’une chanson. « J’étais choqué. C’était la plus belle chose que j’aie jamais entendue. Il a en quelque sorte re-sculpté cette chanson en quelque chose d’autre et … je le déteste pour ça, au fond. » déclare Mark Mothersbaugh, chanteur du groupe Devo. Pas mal pour un accordéoniste parlant de bouffe.

Pourtant réduire Yankovic à un parolier dont le sujet principal n’est que la boustifaille reste une erreur de jugement comme l’atteste le groupe Nirvana demandant, inquiet, si la parodie qu’il fera d’eux concernera la nourriture. Manger c’est important pour Al, c’est une évidence, et ses premiers classiques que sont Eat It ou My Lasagna attestent d’une légère obsession pour le sujet, et pourtant c’est bien l’Amérique sa cible principale. Véritable encyclopédie musicale en 14 volumes, les albums de Yankovic n’ont eu de cesse que de traiter des USA, sa culture (Amish Paradise, The biggest ball of twine in Minnesota), ses excès gastronomiques et consuméristes (Ebay) ou les comportements purement américains comme la course à la gloire (I lost on Jeopardy) ou la haine du Canada (Canadian Idiot). Tout y passe entre deux accords d’accordéon, comme une ouverture vers une culture différente, les parodies de Yankovic sont un melting pot de blagues sur ce qui porte à rire des travers de la culture américaine. On retiendra The biggest ball of twine in Minnesota, sorte de National Lampoon’s Vacation musical, qui est un road song décrivant parfaitement l’absurdité des américains comme en témoignent les paroles : « Oh what on earth would make a man decide to do that kind of thing?(…) what was goin’through his mind? Did it just seem like a good idea at the time ?

Un peu comme le feront les Simpson quelques années plus tard, Yankovic se servira donc de la musique pour satiriser les USA, sans pour autant tomber dans la méchanceté gratuite. Un peu comme l’absence de sujets adultes (la drogue, le sexe etc…), il est difficile de trouver du cynisme dans les textes de Yankovic, qui se moquera gentiment de ses contemporains sans les tourner en ridicule. Demander la permission aux artistes pour les parodier, parfois lui-même comme il l’a fait pour Iggy Azaela, témoigne d’un profond respect pour la profession de ces derniers. Ainsi, s’il se moque de Nirvana pour l’incompréhension de leurs textes, cela reste bon enfant, et s’il s’attaque à Lady Gaga pour ses accoutrements, il n’oublie pas de verser l’intégralité de ce que rapporte le single à des œuvres de charité pour les droits humains.

Le cinéma tient également une place importante dans son cœur comme en témoigne un de ses meilleurs morceaux. The saga begins, parodie de American Pie de Don McLean, n’est rien d’autre que toute l’histoire de The Phantom Menace racontée par Yankovic. Exercice déjà exécuté auparavant avec Jurassic Park et Forrest Gump, on écoute un conteur traiter avec un sérieux, teinté de quelques traits d’humour tout de même, cette histoire tant décriée par les fans. On se prend au jeu dans ce récit, nous faisant presque aimer le film de Lucas, et s’affirmant comme étant une parodie impossible à oublier quand on entend le morceau original, même pas McLean lui-même.


Mais c’est bien la télévision qui reste prioritaire pour l’auteur, comme en témoigne le nombre de morceaux parlant d’émissions, de séries et de dessins animés, ou même le simple fait de rester, comme Homer Simpson, assis devant le tube cathodique. Le compagnon préféré des américains après le chien est même devenu le sujet du seul film à ce jour écrit par Yankovic, UHF. Source inépuisable d’idées absurdes, il est évident que Yankovic s’inspire à ce point de la télévision, étant probablement un enfant de cette dernière. Il en fera toutes les caricatures possibles, la plus connue restant I lost on Jeopardy, détournement du héros du jour, où un pauvre simplet deviendra sujet de moquerie face à une Amérique se délectant autant de la défaite des participants que jalousant la victoire des gagnants. Derrière une succession de blagues se cache une véritable réflexion sur le pouvoir de la télévision, autant néfaste que cruel, affichant devant des millions de personnes, des pauvres âmes ne demandant qu’à remporter le jeu de la vie en répondant à des questions de culture générale.

Comme on peut le constater, si l’on se penche un instant sur ses textes, on peut apercevoir au travers de la satire, un vrai travail de construction humoristique. Imager des gags n’est pas chose aisée, tout comme écrire des jeux de mots corrects et surtout jouer sur la prononciation de ces derniers afin de les faire coller avec le texte original. On notera également un travail de recherche de la part de Yankovic quant aux sujets qu’il aborde, et l’un des exemples les plus probants reste White and Nerdy. Blagues sur Star Trek, connaissance de l’utilisation (et intérêt qu’il représente) d’internet mais aussi de l’informatique (sujet déjà maitrisé dans It’s All about the pentiums) Yankovic ne laisse rien de côté. Sujet dont il se considère né pour écrire dessus, le monde des nerds n’a aucun secret pour lui, comme en témoigne le fait qu’il se sentait tellement inspiré qu’il aurait été capable d’écrire un morceau complètement différent sans problème.

Et parfois on tombe sur une énigme, un morceau tellement improbable qu’il semble être d’ores et déjà une parodie et pourtant, Trapped in the closet de R. Kelly ne l’est pas. Véritable phénomène à sa sortie, tout le monde s’est précipité sur l’occasion d’en faire une parodie, sauf un. Comment parodier quelque chose d’aussi absurde en soit ? Et là, l’idée est venue, comme un éclair de génie, une parodie dont les auteurs de Seinfeld semblent être les parents, Yankovic décide de faire une parodie ne racontant rien. C’est ainsi que naquit, Trapped in the drive thru, l’histoire d’un couple partant chercher des burgers pendant 11 min, un des récits les plus banals jamais entendu parodiant un des récits les plus improbables jamais entendu. On croirait presque entendre un morceau expérimental se posant la question de comment parodier ce qui est une parodie.

Et le morceau Albuquerque présent sur l’album Running with scissors représente le summum de l’expérimentation chez Weird Al. Véritable odyssée de plus de 11 min, la chanson est une longue histoire sans queue ni tête sur un personnage gagnant un ticket pour voyager jusqu’à la ville d’Albuquerque. Enchaînant les phrases et les situations improbables, Weird Al souhaitait de prime abord créer un morceau insupportable, représentant une épreuve pour les plus courageux, avec un texte si long qu’il n’est pas complet dans la pochette de l’album. Mais il s’avère être impossible de ne pas rigoler face à tant de non-sens enchaînés à grande vitesse, et les fans ajouteront ce qui devait être une blague comme un classique de l’auteur. Tout ça pour une longue diatribe sur… la choucroute dont il ne manque que l’image.


Cette même image, Yankovic n’a eu de cesse de la pervertir par ses idées les plus absurdes. On rigole devant le gag des bottes dans Top Secret des ZAZ car on tombe sur une blague déjouant les attentes du spectateur quant à ses croyances et connaissances concernant le hors-champ. Mais on s’égosille également devant une parodie d’une séquence de Saturday Night Fever dans Airplane. En plus de situer son film dans les décors originaux du Frankenstein de la Universal, Mel Brooks camoufle sous des gags absurdes un véritable hommage à une œuvre majeure du fantastique. Et citer les maîtres de la parodie cinématographique est évident tant leurs influences semblent plus que présentes dans la carrière de Yankovic. Car il serait malhonnête de ne pas reconnaître, qu’outre ses textes et le choix des morceaux parodiés, c’est principalement l’utilisation du clip vidéo, objet pop cher à la génération MTV, qui a propulsé Weird Al dans les charts et les mémoires. La chaîne américaine est là depuis 1981, Thriller a révolutionné le clip en décembre 83, et en 84 Eat It sera diffusé, prouvant que Yankovic a déjà compris comment fonctionne le monde de la musique dorénavant. Pour surfer sur le succès du morceau, il suffit de parodier plan par plan le clip, créant un jeu des 7 différences pour le spectateur qui s’amuse à chercher quel gag remplace quel élément sérieux. Cette formule sera réutilisée pour Fat où l’on assistera médusés et hilares aux actions d’un homme caoutchouc aux proportions absurdes se prenant pour Jackson, évoluant dans l’exact même décor que celui dans lequel Martin Scorsese a posé sa caméra. Au centre du cadre, un humoriste s’appropriant, en plus de l’aspect musical, le corps du King of Pop. Pendant quelques minutes il est lui, sa veste et ses mimiques lui vont comme un gant de cuir et il ne s’arrêtera pas là. Kurt Cobain, Jim Morrisson ou Lady Gaga, un véritable numéro de transformisme pop se présente devant nos yeux et permet de toucher du doigt un rêve inaccessible, s’il peut devenir tous ces artistes, pourquoi pas nous ? Le fan devient l’idole, pendant un pur instant de folie absurde, où l’on pense que James Brown a une hernie et Coolio peut faire partie de la communauté Amish.

Et parfois Yankovic fera des clips originaux, reprenant des éléments de morceaux parodiés pour l’incorporer et ainsi créer une continuité dans la parodie, comme en atteste le lion ou la caricature de Madonna elle-même dans Like a surgeon. Mais comme tout artiste, il se refuse de mal vieillir et d’être oublié, alors il s’adapte parfaitement à l’évolution des consommateurs pop, comme en atteste sa compréhension totale de Youtube. Outre la possibilité de trouver tous ses faits d’armes sur sa chaîne, il a également réalisé 8 clips destinés à la plateforme de diffusion pour la sortie de son dernier album en date, prouvant par cela qu’il n’oublie pas de rester à l’écoute et de comprendre les attentes de ses fans, nouveaux, comme anciens. Il se peut même que l’on retrouve des collaborations inattendues, comme l’équipe de Robot Chicken réalisant le clip de Weasel Stomping Day ou Bill Plympton pour TMZ. Sans oublier les apparitions de Seth Green dans White and Nerdy ou Jack Black dans Tacky, les clips de Yankovic deviennent ainsi des objets pop précieux dont le plaisir de découverte n’a d’égal que les rires provoqués par ces derniers.

On pourrait continuer encore longtemps sur Weird Al avec une carrière aussi longue, comportant bien plus que des parodies musicales. Comme cité plus haut le film UHF reste un curieux objet pour tout fan de l’humoriste, sans oublier ses fausses interviews et autre faux teaser de biopic sur le site Funny or die. Alors s’il y a bel et bien un King of Pop, il y a aussi un King of Pop Parody, et Alfred Newman Yankovic porte la couronne depuis plus de 40 ans.

Author

Stéphane Visse

Stéphane Visse

Je lisais Mad Movies au CDI. Peter Jackson m'a donné envie de faire du cinéma avec Bad Taste, les frères Coen de l'analyser avec No Country for old men, et George Miller de le ressentir avec Mad Max Fury Road.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *