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Yokohama kaidashi kikō : L’ère des fins d’après-midi tranquilles

La publication française de Yokohama kaidashi kikō marque la fin d’une Arlésienne : le plus connu des mangas méconnus, dont la réputation s’est lentement établie grâce aux traductions amateurs sur internet, sort enfin du Japon, presque quinze ans après la fin de sa parution initiale. Portée sur le petit écran en 1998 puis en 2002, l’œuvre de Hitoshi Ashinano dépeint une vie à la campagne sereine et attachée aux petites choses, qui apparaît comme salutaire en période de pandémie. La sortie inattendue de ce manga, renommé pour l’occasion Escale à Yokohama, nous a ainsi donné l’envie de revenir sur la plus ancienne des adaptations animées – la plus réussie – qui met en scène, l’espace de deux épisodes de trente minutes, une magnifique expérience du temps et de l’éphémère.

L’intrigue se déroule dans un futur proche assez singulier : après une brusque montée des eaux à l’échelle mondiale, la ville de Yokohama est désormais engloutie par les flots. La civilisation humaine touche doucement à sa fin, sans que personne ne s’en soucie. La population mène une vie tranquille et profite des jours qui passent. L’héroïne, un robot à l’apparence humaine nommé Alpha, garde un café isolé dans la campagne en l’absence de son propriétaire, parti pour une durée indéterminée. Alpha fait ainsi l’expérience d’un quotidien simple, ponctué de balades en scooter dans la nature qui la mènent à rendre visite à ses voisins, faire des rencontres inattendues ou encore à découvrir l’art de la photographie. L’œuvre se focalise ainsi sur des tranches de vie des plus minimalistes, et donc universelles.

La grande force de Yokohama est que tout son projet esthétique découle de son point de départ scénaristique. La lente période de crépuscule que traverse l’humanité rejoint la situation d’Alpha, dans l’attente d’un retour incertain qui surviendra un jour, peut-être. Du croisement des deux naît une très grande dilatation du temps, à laquelle s’ajoute une dilatation de l’espace, puisque suite à la catastrophe les routes sont moins praticables et les transports moins performants, ce qui rend les déplacements plus longs et contraignants. Les deux épisodes se focalisent ainsi sur une appréciation du ici et du maintenant, déployée sans hâte, avec une profonde sérénité. Alpha, éloignée de tout impératif immédiat, prend par conséquent le temps d’observer la nature, d’écouter le bruit du vent ou encore de rêvasser dans l’espace douillet du café. L’animé cultive un goût pour la solitude, les moments où l’on est seul avec soi et en même temps seul avec le monde qui nous entoure. L’expérience des petites choses éphémères, qui surviennent dans une temporalité qui semble étirée à l’infini, donne toutefois envie à l’androïde de les saisir par la photographie. Se pose alors mélancoliquement la question du choix, de ce qu’on veut garder en mémoire, d’autant plus que l’objectif de l’appareil se substitue au regard d’Alpha, une fois qu’ils sont reliés par un cordon. À travers ce nouvel œil, le personnage redécouvre son environnement et y cherche les plus beaux éléments, ceux qui doivent être préservés. Face au dilemme de la sélection et aux contraintes matérielles – le stock de pellicule est limité –, Alpha n’utilisera finalement pas son appareil mais découvrira, au moment de s’endormir, qu’elle se souvient des détails de la journée avec plus d’acuité. Un autre élément incongru appuie ce changement dans la manière dont l’héroïne envisage le monde : l’étui du pistolet. L’arme était apparue plus tôt dans l’épisode comme un objet négligemment posé sur une table, mais sa présence suggérait que le cadre paisible de Yokohama était susceptible d’être troublé à un moment ou à un autre. Néanmoins, Alpha décide d’utiliser l’étui du pistolet pour transporter plus facilement l’appareil photo, qui s’y glisse parfaitement. L’arme disparaît alors de l’épisode pour ne plus jamais revenir, et l’éventualité d’un danger est chassée. Cette substitution discrète d’un objet permettant de « shoot » ce qui l’entoure par un autre souligne le changement qui s’opère chez Alpha, désormais prête à aller vers le monde et la beauté qui s’offre à elle.

Mais au-delà de son propos sur le temps et sur le rapport entre l’héroïne et son environnement, l’animé reste très appréciable au premier degré pour son ambiance de campagne et de bord de mer, pour laquelle de gros moyens techniques sont mis à contribution. Yokohama profite en effet d’une très belle animation, en particulier au niveau des choix de couleurs et de la composition des plans. La mise en scène s’attarde régulièrement sur le passage d’un moment du jour à un autre, montrant à de nombreuses scènes de fin d’après-midi aux tons agréablement rosés et chauds. Mais plus encore, pour peu qu’on y prête attention, c’est la conception ultra-réaliste de la lumière qui apparaît comme la qualité graphique la plus admirable. Rarement en animation on aura vu une telle minutie apportée aux variations de luminosité, qu’elles s’opèrent par fondus ou par nappes sombres qui recouvrent lentement une partie du plan et qui viennent, l’air de rien, nuancer l’ambiance de la scène. Le monde de Yokohama est résolument en mouvement malgré son apparente immobilité, même lors des moments de silence, d’entre-deux, ce qui rend les longues contemplations d’Alpha et son émerveillement d’autant plus vrais et partagés. L’émotion devant le ciel qui change spontanément de couleurs, notamment lors d’un soleil couchant au bord de la mer, n’est finalement pas différente de la scène du crépuscule à la fin du Rayon Vert de Rohmer, où se joue quelque chose de mystérieux pour le personnage principal, sur lequel il est difficile de mettre des mots, bien que l’on comprenne parfaitement son chamboulement.

Des airs du "Rayon Vert" de Éric Rohmer dans "Yokohama kaidashi kikō"

Cette justesse est d’autant plus frappante que la série ne renie pas son caractère incongru à d’autres moments, par quels rappels de son postulat futuriste éloigné du réel ou encore par la traversée de décors urbains sinistrés, immergés ou lentement gagnés par la végétation. Ces paysages atypiques, ce monde aux fonctionnements parfois étranges, teintent le quotidien familier d’Alpha d’une dimension onirique et rendent l’ambiance propice, pour le personnage comme pour le spectateur, aux longues divagations intérieures, au bord de l’eau ou à la fenêtre, un café à la main. C’est en cela que le seul reproche à faire à cette adaptation animée serait son format très court. Le second épisode s’achève et le monde doit déjà se clore, après avoir eu à peine le temps de s’ouvrir à Alpha et à nous. Il ne reste qu’à espérer que les chapitres du manga sauront prolonger cette magnifique parenthèse.

Author

Émilien Peillon

Émilien Peillon

J'aimerais appartenir à la cinéphilie classique mais mon amour pour l'animation et le jeu vidéo m'en empêche. Incapable de rédiger quoi que ce soit rapidement, j'essaye au moins de travailler la forme pour ne pas devoir me cacher les yeux quand je me relirai dans six mois. Un jour, j'ai découvert Paprika au cinéma et je ne m'en suis jamais remis.

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