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Mon oncle Frank : retour vers le passé pour Alan Ball

Dans les années 70, un instituteur homosexuel traverse les États-Unis avec son petit ami et sa nièce pour se rendre à l’enterrement de son père, à l’attitude ouvertement patriarcale. Prototype du film Sundance guimauve, Mon oncle Frank est pour Alan Ball un retour insatisfaisant derrière la caméra.

La semaine dernière était évoquée sur le site la sortie d’Une ode américaine, dernier film de Ron Howard sur Netflix, ainsi que la manière que pouvait parfois avoir Hollywood de traiter avec condescendance une partie marginalisée de la population américaine, à force de les laisser apparaître par des effets sur-esthétisants et sur-dramatiques, faisant d’elles et eux des avatars plus que de vrais individus. Dans le film d’Howard, c’était à une population pauvre que l’on collait les pires étiquettes pour faire pleurer l’Académie des Oscars. Ici, avec Mon oncle Frank, c’est avec le sujet sensible du coming-out qu’Alan Ball va tenter de convaincre l’institution hollywoodienne.

Par son appropriation vintage du road-movie, genre où des personnages apprennent à se connaître en sillonnant les routes, Mon oncle Frank rappelle un succès récent du cinéma américain : Green Book. Les deux films traitent de sujets politiques sensibles avec un groupe de personnages singuliers, mais de manière assez lisse, dans le but de créer un véritable crowd-pleaser. Plus une tendance qu’un genre cinématographique, ce principe consiste à faire plaisir à n’importe quel type de public. Sauf que traiter d’un sujet politique délicat n’est pas la même chose que proposer un feu d’artifice aux spectateur-rice-s pour qu’ils et elles sortent de la salle ravi-e-s, il y a les comédies musicales avec Meryl Streep pour ça. Pour traiter de problèmes encore douloureux, qui plus est d’actualité, que sont le racisme et les violences policières, il n’est pas nécessaire de caler des moments obligatoires où le film hurle not all cops. Même chose ici pour parler de l’homophobie du cercle familial, où des remarques infantilisantes sur l’homosexualité devraient passer crème (non) car elles viennent de proches censés être rassurants pour le héros. Involontairement, car il serait évidemment absurde d’envisager des auteurs comme Peter Farelly ou Alan Ball prôner des valeurs intolérantes, ces maladresses purement propres aux standards hollywoodiens réconfortent celles et ceux qui vivront éternellement à travers ces clichés plutôt que de les affronter réellement. Voir ces films se déroulant dans les années 50-70 en 2020 donnent l’amère impression que rien ne doit changer dans les mentalités.

Les poncifs de Mon oncle Frank le confirment. Nous en sommes encore au grand film dramatique sur le coming-out dans une famille typiquement réactionnaire. Frank, personnage éponyme interprété avec sobriété par Paul Bettany, n’existe qu’à travers le regard béat de sa jeune nièce jouée par Sophia Lillis. Écrasé par les codes convenus du genre, il ne peut qu’exister en traversant des traumatismes douloureux (père ouvertement homophobe, alcoolisme et mort d’un premier amour…) qui pourront le faire avancer mais nécessairement avec difficulté, le privant de vivre heureux avec ses proches durant tout le film. Ne soyons pas naïf-ve-s. Évidemment qu’un coming-out peut provoquer des remous violents, mais nous avons déjà tellement vu et revu ce genre de drame qu’il n’y a plus grand chose de nouveau à dire sur le sujet, du moins d’un point de vue américain. Toute cette douleur autour du coming-out n’est alors plus qu’un moyen de faire souffrir un personnage homosexuel. Les spectateur-rice-s ont besoin d’autres films pour explorer un tel sujet. Regardez Happiest Season par exemple. Il est temps d’en finir avec cet exercice rance, usé et paresseux.

Uncle Frank essaie de passer par le cinéma pour militer activement contre les préjudices, mais il tombe en panne sèche. Infantilisant, maladroit et uniforme; ce prototype estampillé Sundance passe radicalement à côté de son sujet pour préférer plaire à un public qui ne le mérite peut-être pas.

Author

Victor Van De Kadsye

Victor Van De Kadsye

Créateur du site. Je ne vis que pour des artistes comme Michael Mann, Clint Eastwood, Hou Hsiao-hsien ou bien Kelly Reichardt. Capable de réciter n'importe quel réplique de l'âge d'or des "Simpson".

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